L'arrivée de Neymar au PSG est la preuve qu'il faut d'urgence réformer le football pour plus de transparence de régulation et de redistribution
Cet épisode le prouve, le football est l'un des marchés les plus dérégulés de la planète.
Le samedi 5 août, à 16h30, je recevais en tant que membre du Conseil d'Administration de la Tour Eiffel un mail m'annonçant qu'à la demande de la Mairie de Paris, une illumination spéciale aurait lieu le soir même afin de saluer l'arrivée de Neymar au Paris Saint-Germain. J'ai immédiatement signifié mon désaccord à la directrice générale de la Société d'Exploitation de la Tour Eiffel, il me semblait inapproprié et déplacé de vendre l'image de la tour Eiffel alors même qu'elle était jusque-là illuminée en solidarité avec les victimes des attentats dans le monde entier.
Il est regrettable que la ville de Paris se soit associée à cette opération de "soft power", comme le décrit Benjamin König dans L'Humanité Dimanche du 10 août 2017. Le Qatar, mis au banc par ses voisins de la péninsule arabique, se rachète une image internationale avec une carte postale associant l'un des meilleurs joueurs du monde et la Tour Eiffel.
Au-delà de l'opération de communication, le choix de la ville de Paris nous interpelle politiquement au regard de la situation du football business aujourd'hui dans le monde. Neymar n'a pas encore foulé les pelouses de Ligue 1, mais fait déjà beaucoup parlé de lui pour le montant exorbitant payé par le Paris Saint-Germain au titre de sa clause libératoire (222 millions d'euros) et de son salaire annuel (30 millions d'euros net).
En 2001, Zinédine Zidane, est transféré de la Juventus au Real de Madrid pour un montant de 75 millions d'euros. Il était alors le joueur le plus cher de l'Histoire du football.
En 2016, Paul Pogba était transféré de la Juventus à Manchester United pour plus de 105 millions d'euros.
Aujourd'hui, Neymar est transféré pour une somme plus de deux fois plus importante.
L'inflation du montant des transferts que l'on constate dans le football moderne a toutes les caractéristiques d'une bulle spéculative, exubérante et quasi irrationnelle, qui comme toutes les bulles, est vouée un jour à éclater.
Une nécessaire régulation
La quintessence d'un système capitaliste est de tout envisager comme une marchandise, un bien, un objet de spéculation. À ce titre, comme l'analyse parfaitement Jérôme Latta dans un récent billet sur le blog "Une balle dans le pied" hébergé par Le Monde "les footballeurs sont devenus des actifs spéculatifs".
Plusieurs enquêtes démontrent qu'il s'agit de l'un des marchés les plus dérégulés de la planète, avec une mainmise de la finance et une avancée inquiétante de la corruption et du blanchiment d'argent liés aux paris sportifs. Près d'un tiers des indemnités de transfert des joueurs est reversé à des intermédiaires via un système opaque fait de montages financiers avec des rétro-commissions qui disparaissent dans les paradis fiscaux. Dans certains cas, une part des droits de transfert appartient à un fonds d'investissement grâce à un système de tierce propriété alimentant les comptes d'hommes d'affaires éloignés du sport.
L'enquête Europol sur les matchs truqués démontre à quel point la criminalité gangrène le football et qu'il s'agit d'un enjeu majeur pour les gouvernements et les fédérations sportives internationales.
Il est temps de penser une harmonisation des règles des transferts. Force est de constater que la mise en place du fair-play financier est louable mais contournable. Pour être efficace, cette harmonisation ne peut se faire qu'à "grande échelle", c'est-à-dire mondiale ou à tout le moins européenne en impliquant les organisations internationales FIFA et/ou UEFA.
De nombreux observateurs du football avance cette idée comme Stéphane Mandard, éditorialiste du service des sports au Monde.
L'exigence de transparence
Outre l'harmonisation, c'est également la traçabilité, la provenance des sommes investies par les clubs qui interpelle.
Dans le cas du transfert et du contrat de Neymar et au regard des sommes avancées, 222 millions d'euros pour la clause libératoire, 30 millions d'euros par an de salaire net, on ne peut que se questionner sur l'origine des sommes. Le vertige du sport business appelle à la transparence.
À ce titre, l'indignation du journaliste sportif Patrick Montel sur le plateau de France Télévision est saine.
Nous gardons en mémoire les révélations sur les évasions et les fraudes fiscales liées aux "Football Leaks" qui concernaient, entre autres, des joueurs évoluant au Paris Saint-Germain.
L'affaire "Football Leaks" démontrait la nécessité d'une opération vérité sur la nature de l'argent privé qui circule. D'où viennent ces sommes colossales? Qui peut mettre autant d'argent dans les transferts et les salaires des joueurs? Qui sont ces propriétaires à la tête d'une oligarchie de clubs se garantissant une hégémonie sportive à grands coups de millions?
Ces interrogations remontent même au plus haut niveau européen. Pierre Moscovici, commissaire européen aux affaires économiques et financières appelle à la "fin du secret" et de l'opacité de ces montages financiers.
Libérer définitivement le sport de l'emprise financière nécessite une intervention citoyenne et publique forte, une exigence de démocratie, de transparence, et la maîtrise collective des structures d'organisation et de gestion. L'État a la responsabilité d'impulser ce mouvement de fond avec des mesures concrètes.
Dans mon ouvrage Libérer le sport – vingt débats essentiels (Éditions de l'Atelier, 2015), j'avance plusieurs propositions. D'abord, la création d'une agence mondiale de lutte contre la corruption dans le sport, qui aurait le pouvoir et les moyens de se livrer à toutes les investigations nécessaires sur le plan mondial pour démasquer les réseaux à l'origine des actions de corruption et de fraude fiscale. Nous proposons également d'instaurer des salaires plafonds et une échelle des rémunérations, de mettre fin au mercato et aux agents maquignons, et d'interdire les paris sportifs. Un club sportif ne devrait pas être géré comme une entreprise, mais comme un organisme relevant d'une mission de service public et répondant à des critères d'efficacité sociale.
Une redistribution souhaitable
Pour reprendre les termes de Marie-George Buffet au moment de l'adoption de la taxe éponyme garantissant au Centre National du Développement du Sport (CNDS) le versement de 5% des droits de diffusion télévisuelle des manifestations et compétitions sportives: "le sport professionnel brasse des sommes d'argent considérables, il serait indécent de priver le sport amateur des moyens de sa survie et de son développement".
L'idée est aussi simple que logique: sans le sport amateur, le sport professionnel ne serait rien, à ce titre, les recettes du second doivent profiter au premier.
Mais il faut aller plus loin. Au-delà de cette taxe sur la diffusion télévisuelle, la redistribution doit passer par l'impôt.
L'attractivité de la France, pour un joueur étranger, passe par le régime des impatriés qui, bien utilisé, permet au joueur d'exonérer d'impôt sur le revenu près de 50% de ses revenus d'activité pendant huit ans, et de n'être assujetti à l'ISF qu'à raison de ses biens situés sur le territoire français et ce pendant cinq ans. Ce régime fiscal, taillé sur mesure pour les salariés à forts revenus et les grandes fortunes doit être revu.
Le ministre des comptes publics Gérald Darmanin se réjouit de peu. "L'industrie" du football pourrait être davantage mise à contribution pour la solidarité nationale.
Comment assurer alors une bonne redistribution? Le football, comme d'autres secteurs ultra-concurrentiels où des sommes importantes circulent, doit participer à l'effort collectif qui plus est dans une période dans laquelle les politiques publiques sont frappées par l'austérité.
La solution semble encore se trouver dans l'harmonisation fiscale. Le 2 février 2017, sous l'impulsion des élu-es du groupe Gauche Démocrate et Républicaine, l'Assemblée Nationale votait la résolution de COP de la finance mondiale pour l'harmonisation et la justice fiscale. Il est plus que jamais temps de passer à l'acte et de réfléchir à la mise en place d'un système unique permettant à la fois une juste répartition des richesses et une lutte efficace contre l'évasion et la fraude fiscale.